Les films d'ouverture du Festival de Cannes, c'est une histoire à part entière de cet événement. La porte ouverte à des oeuvres plus populaires que le reste du palmarès, des défilés de stars, ou de bons gros fiascos. Des séances qui disent tout l'éclectisme de Cannes, quand on sait que Shrek 2 a déjà été présenté au sein du festif. Oui oui. Cannes, ce n'est pas juste pour Ken Loach, les frères Dardenne ou Apichatpong Weerasethakul.
C'est fort de cette conviction que je suis allé découvrir en salles LE film sélectionné pour cette année pour introduire le plus grand festival de ciné au monde : Le deuxième acte, nouvel effort de l'ultra-productif Quentin Dupieux - le cinéaste frenchie et ex-artiste électro (plus connu sous le nom de Mr Oizo) sort deux films par an. Après Daaaaaali ! (très bon) et Yannick (moins bon) le réalisateur le plus barré de l'Hexagone a étonné la Croisette avec une comédie satirique particulièrement virulente réunissant Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel, Raphael Quenard. Bon connaisseur de son oeuvre, je ne savais cependant pas à quoi m'attendre.
A la fois intrigué et hyper circonspect à l'idée de retrouver toutes les obsessions récurrentes du cinéaste - goût pour l'absurde, les intrigues en poupées russes, les discours "métas" sur le cinémââââ - j'ai attaqué ma séance du Deuxième acte au sein d'un petit ciné du onzième arrondissement, et dans de bien moins beaux vêtements que le public de pingouins cannois. Mais j'étais tout de même persuadé de passer un bon moment.
Fut-ce vraiment le cas ?
Ces dernières années, j'ai compris une chose : voir un film de Quentin Dupieux en salles, c'est toujours une expérience. Très clivantes, ses comédies non sensiques à la fois chaotiques et fédératrices - elles sont surréalistes mais leur casting très populaire - ont la particularité de diviser la salle en deux. Je l'ai observé : d'un côté, les convertis au "Dupieux-isme", abondant en rires bruyants, à la limite de l'applaudissement. De l'autre, ceux qui veulent se barrer en pleine projo, soupirs en évidence, alors que ses films n'excèdent jamais 85 minutes !
Rebelote face au Deuxième acte, qui relate les prises de bec hautes en couleurs de comédiens s'acharnant à (plus ou moins bien) jouer les scènes d'un film (nul). Plus précisément, d'une sorte de comédie romantique où une meuf (Léa Seydoux) présente à son père (Vincent Lindon) son mec (Louis Garrel) et le meilleur ami de ce dernier (Raphael Quenard). Très vite, on comprend que ces personnages sont... des acteurs qui sont en train de jouer des personnages ! Premiers éclats de surprise dès lors dans la salle face à ce "twist".
>> J'ai dévoré ce roman provocateur et brillant en un temps record, alors qu'il fait 900 pages ! <<
La scène d'intro à laquelle nous assistons, comprenons-nous au bout de quelques minutes, est un mix entre le dialogue d'un film fictif (censé être tourné durant le film que nous visionnons) et une "vraie" conversation entre deux comédiens. Déjà, j'observe chez mes voisins un mélange d'étonnement et d'immense flemme. Car depuis Rubber, son second long métrage, l'histoire d'un pneu tueur en plein désert américain, Quentin Dupieux ne fait que des films dont le premier sujet est ... le cinéma. Des années qu'il tourne en boucle là-dessus.
Et la vision qu'il en propose dans Le deuxième acte, principalement ciblée sur la scène française, est virulente : acteurs homophobes, sexistes, arrogants, hypocrites, tous détestables, antipathiques et/ou dépressifs... Ce qui donnera lieu à un dialogue bien dérangeant où un comédien décoche à son collègue bisexuel quelques "blagues" bien transphobes et homophobes. Avant que son binôme insiste pour qu'il arrête, non pas par respect, mais car "ils sont filmés" : des caméras enregistrent leur dialogue et ils pourraient "être cancel !". Critique des hypocrisies de la scène artistique tenant plus que tout à son image ? Ou gag bien réac ?
La gêne est présente à ce moment-là, et j'observe un étrange mélange entre dents qui grincent, soupirs devant cette scène bien lourde et rires un peu trop sonores pour être honnêtes.
Moi-même, je reste un peu pantois devant ce genre de scènes qui se veulent humoristiques mais déballent des "rooooh, ça va, mieux vaut en rire !" dignes d'un Pascal Praud en petite forme. Heureusement, Dupieux n'a pas que cette flèche de saillies "boomer" sur le politiquement correct à son arc. Loin de là !
Dès la seconde séquence opposant Vincent Lindon et Léa Seydoux en un duel de réparties cinglantes et hyper jubilatoires, je comprends que Le deuxième acte est avant tout un jeu de massacre sur le star system. Chaque acteur/actrice y incarne une parodie de lui-même. Lindon se demande de manière très démago s'il importe encore de faire ce métier dans un monde qui se meurt. Seydoux est dépressive et tout le monde se moque d'elle. Garrel cligne de l'oeil avec force charme dans un café et soigne son image très consensuelle.
C'est dans ces jeux de reflets que le film touche au génie, permettant à ses interprètes de se moquer d'eux-mêmes avec une autodérision qui tutoie presque le sadomasochisme, tant le sarcasme est salé. Dupieux n'a aucune pitié et les dialogues à l'unisson revendiquent une ironie ravageuse. Personne n'en sort indemne. Sauf peut-être LA révélation du film : Manuel Guillot, acteur inconnu au bataillon qui interprète ici un serveur extrêmement nerveux qui va passer trente longues minutes à tenter de remplir un verre de vin. Sans succès. Avec ses mimiques et son intensité, l'acteur transforme un running gag en grâce comique totale.
Un second degré qui semble convaincre mes voisins de salle, que cette intention-là semble avoir réveillé. Plus ou moins : comme dans tout Dupieux, le rythme est très inégal, certains gags font mouche, d'autres non, et la fin semble avoir été purement et simplement improvisée.
La scène finale, d'ailleurs, parlons-en : c'est un (très !) long plan-séquence, dont je ne spoilerai pas le contenu, mais qui, par sa radicalité, en a achevé plus d'un. Scène comprise entre cinq et dix minutes (en tout cas : en ressenti), interminable, qui à mes yeux fait totalement sens vu le propos du film. Je trouve que c'est un coup de génie comparable aux films d'Andy Warhol - qui aimait les longs plans séquences sur des choses fixes.
Mais la salle n'est pas vraiment d'accord : j'entends des spectateurs se plaindre, souffler plusieurs fois, et certains iront de leur "quelle merde !" bien cathartiques. Ce qui me fait encore plus aimer ce moment...
Séance intense, donc, pour le meilleur... Comme pour le pire.