Selena Gomez couronnée à Cannes... Je n'aurais pas forcément cru voir cela de sitôt, tant la carrière sur grand écran de la célèbre chanteuse - plutôt saluée pour sa performance dans la série télé Only Murders in the Building - n'est pas gigantesque. Mais la popstar de 32 ans a eu la chance de croiser sur son chemin le cinéaste français Jacques Audiard, et avec lui un projet cinématographique totalement improbable... Emilia Perez.
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Oeuvre hybride dont le casting a donc eu droit à une standing ovation au dernier festival cannois et à un prix d'interprétation féminine collectif pour son quatuor de comédiennes... Dont Selena donc. CQFD.
Croisement saugrenu entre la comédie musicale très chorégraphiée et le film de gangsters tépidant, cet ovni à découvrir ce 21 août dans les salles est avant tout l'histoire d'une femme transgenre : la Emilia Perez du titre. Incarnée par une flamboyante Karla Sofía Gascón, dont la présence tour à tour électrisante et poignante m'a carrément rappelée les grands portraits de femmes du cinéaste madrilène Pedro Almodovar, Emilia Perez est une héroïne "queer" en pleine rédemption qui fuit un passé d'impitoyable mafieux très viril.
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Mais le film alors, que vaut-il ? Je vous raconte.
Parler de la transidentité à travers une comédie musicale qui emprunte aussi énormément au thriller, surtout dans son dernier acte : on ne peut pas dire que je partais réticent au vu de ce postulat dingue.
Et je n'ai pas vraiment été déçu du voyage proposé par Jacques Audiard. J'ai même eu l'impression que ce dernier, plutôt connu pour mettre en scène les hommes, et les mecs qui parlent avec leurs corps (Un prophète, Sur mes lèvres, De rouille et d'os) n'avait jamais autant laissé le champ libre à ses comédiennes.
À ce titre, j'ai été étonné de l'importance accordée au personnage de Zoe Saldana, avocate au service d'un gros cabinet qui va rejoindre ce chef de cartel soucieux de devenir... Emilia Perez, la femme qu'il a toujours rêvé d'être.
Saldaña est une femme forte parmi toutes celles qui composent ce patchwork de portraits très éloquents. Les séquences musicales où elle trône en reine lui rendent bien puisqu'elles regorgent d'effets de mise en scène type uppercuts : des zooms, dézooms et travelling violents, comme si la caméra se prenait des coups... Une réalisation qui je trouve dénote par une liberté bien décomplexée, à l'unisson de son héroïne titre.
Si son rôle d'épouse endeuillée puis désireuse d'ouvrir un nouveau chapitre de sa vie pèche parfois par une écriture un peu trop réductrice, surtout durant les vingt dernières minutes très pétaradantes du film, j'ai apprécié de découvrir des partitions musicales totalement inédites de l'artiste, qui donne voix et corps à un personnage finalement très mélancolique, surtout l'espace d'une chanson à la fois punchy et introspective.
"Le film en lui-même est incroyable. Et je suis tellement honorée de faire partie d'une histoire aussi fascinante et belle. Ca a vraiment enrichi ma vie ! Même si pour être honnête, je suis déçue par mon niveau d'espagnol", avait d'ailleurs déclaré la chanteuse trentenaire lors de la conférence de presse du film à Cannes.
Trop humble à mes yeux comme prise de parole : Audiard a eu la bonne idée de concilier comédie et mélodies à travers une artiste qui sait manier ces deux aptitudes, tout en dévoilant, force tragicomique de toute cette histoire oblige, une autre facette de la popstar... Un rôle qui restera dans la carrière de Selena !
Même dans le si rôle-titre, c'est surtout la comédienne espagnole Karla Sofía Gascón qui a su retenir toute mon attention. D'autant plus qu'il est impossible de dissocier sa performance de son engagement quotidien, très médiatisé depuis. Et d'artistique, le rôle devient dès lors aussi bien intime que politique.
Dès le triomphe à Cannes de ce film et même avant, la comédienne fut la cible sur les réseaux sociaux des pires attaques transphobes. Sur la Croisette, elle a défendu le droit des personnes trans, notamment des femmes transgenres, et leur visibilité dans le cinéma, encore trop maigre. Un discours qui n'a pas vraiment du plaire à J.K Rowling... J'aime à croire qu'aller découvrir ce film en salles, c'est déjà, un peu, lui rendre honneur.
Et tant pis pour les esprits trop étroits qui resteront sur le côté !