On peut dire que Squeezie fait causer avec sa dernière vidéo. Et pas seulement en affolant les stats YouTube - plus de 5,5 millions de vues en deux jours à peine. Si vous êtes parvenus à y échapper, voilà le topo : dans "Ils nous ont insulté en ligne, on les confronte IRL", le YouTubeur, accompagné de ses acolytes streamers Gotaga et Kameto, invite dans un (faux) tribunal certains "bannis" de leurs chaînes Twitch respectives.
C'est à dire ? Ceux qui se sont fait ban' - ne pouvant de fait plus participer au chat, poster des commentaires - pour avoir insulté (les streameurs, ou les modérateurs), fait de la pub pour leurs chaînes YouTube, et le plus souvent, décoché quelques mots pas très heureux envers les daronnes.
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Si le ton de la vidéo est largement humoristique, Squeezie condamne ouvertement dès les premières minutes toute forme de cyberharcèlement : "Insulter sur Internet, ce n'est pas drôle. Le cyberharcèlement, ce n'est pas marrant du tout. Je le précise parce que nous, on arrive à en rire, mais en vrai, ce n'est pas marrant".
Vous sentez le truc venir ? Oui, voilà : des internautes ne se sont pas privés d'insulter l'une des participantes de cette vidéo - à savoir Audrey, une "vieweuse" qui fait partie de l'audience de ce faux tribunal, autrement dit des non-bannis, et prend la parole plusieurs fois. Une attitude si malveillante qu'elle revient évidemment à reproduire le genre de comportements que dénonce le vidéaste dès les premières minutes.
Comme dirait Morpheus dans Matrix (citons les grands philosophes) : "on appelle ça l'ironie du sort". Mais l'histoire ne s'arrête pas là...
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Car Squeezie a carrément réagi à ces coms négatifs sur Twitter : "Ça y est une femme donne son avis (très pertinent) sur des comportements toxiques et tous les détraqués de ce réseau en font un bouc émissaire".
"La vidéo dénonce exactement ce que vous faites ici : insulter, basher, harceler, parce qu'on est anonyme. Remettez vous en question !", a-t-il décoché à l'adresse d'une partie pas forcément meufs-friendly de sa (très) large commu'. "Détraqués, harceler, bouc émissaire"... Le ton est vénère, comme pour nous rappeler ses mots énoncés plus haut : "Le cyberharcèlement, ce n'est pas marrant du tout". Mais cette situation, en fait, est bien plus complexe qu'on ne pourrait le croire.
Car la vidéo de Squeezie a elle aussi suscité des critiques. On connaît le concept qui en est à l'origine : c'est celui du "tribunal des bannis", adopté par bien des stars de Twitch (Laink et Terracid, Mister MV), consistant à passer en revue les demandes de "deban" - c'est à dire, les messages des viewers bannis, s'excusant, argumentant pour qu'on les accueille de nouveau sur le chat. Sauf que Squeezie a mis en scène la chose "dans la vraie vie", grimé en juge, avec de vrais "haters", qui doivent se défendre, parfois accompagnés de faux avocats.
Le truc, c'est que ce concept, largement banalisé sur Twitch, est dès l'origine un brin polémique : certains internautes voient là une manière de normaliser les insultes, quand les messages des "bannis" ne virent pas carrément à l'homophobie, la misogynie, le racisme, voire... aux menaces. Si les streameurs se servent de l'autodérision pour apaiser les choses, le message mis en avant n'est pas forcément toujours très clair. En gros : on se marre, on ironise, mais la gravité des mots décochés anonymement, elle, ne change pas d'un poil.
Pour capter toute l'ambiguïté du concept, qui consiste à s'amuser d'une attitude pour mieux la dénoncer, il suffit juste de se rapporter à cette tournure un brin maladroite de Squeezie : "nous, on arrive à en rire, mais en vrai c'est pas marrant". Rire si présent dans la vidéo (les "bannis" paradent, font de l'humour, se la jouent cadors du LOL) qu'on a un peu de mal à capter dans quelle mesure le vidéaste "dénonce" les "détraqués"...
Et apparemment, le "tribunal des bannis" n'est pas l'idée du siècle pour sensibiliser à tout ça (toxicité, cyberharcèlement, menaces), même "IRL", puisqu'il a généré... Oh surprise : du sexisme.
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Sur Twitter, de fidèles abonnés relèvent le flop de la chose. Comme le journaliste Vincent Manilève, streamer et expert des cultures web, qui commente : "Squeezie prend la défense d'Audrey, qui intervenait dans sa vidéo Tribunal des bannis et qui subit beaucoup de harcèlement depuis. En revanche, l'argument selon la vidéo dénonce justement le harcèlement et les comportements toxiques... on pourrait en débattre".
"Je tombe sur des clips d'un live où un des bannis de la vidéo de Squeezie explique que d'autres bannis ont "dit des sacrés noms d'oiseaux" sur Audrey en sortant du tribunal. Vraiment donc même les premiers concernés n'en ressortent pas en tirant les bonnes leçons...", déplore encore le journaliste. Est-ce déprimant ? Affirmatif. Mais tout cela ne rend pas cette vidéo moins pertinente pour autant - oh le twist.
Car sans forcément que ce soit conscient, cette vidéo tendance sur YouTube met en scène une réalité limpide : tous les "bannis" présents, le plus souvent des haters à l'insulte facile, sont des mecs. Sans exception. Des mecs qui font le show, pavoisent, s'amusent, qui "trollent" en somme... Les meufs, elles, font partie du public "bienveillant" (traduction : les personnes qui ne harcèlent pas), ce sont les "bons" viewers présents pour attester ou non de la justesse des "juges" - Squeezie, Kameto, Gotaga. Et il suffit qu'une des abonnées prenne la parole pour qu'elle suscite en retour des critiques sur Twitter... par des mecs. La boucle est bouclée, quelque part.
Verdict : si les propos de Squeezie ont pu être maladroits à la base ("c'est drôle, mais en fait non") sa vidéo en dit bien plus sur la réalité du cyberharcèlement qu'on ne pourrait le croire. Mais hélas : bien malgré elle.