J'attendais de pied ferme ma séance de Love Lies Bleeding et je n'ai pas été déçu. Car bien plus qu'une curiosité, ou pire, un buzz, ce film pourrait tout à fait devenir un phénomène culturel. Ce thriller sanglant relatant une romance lesbienne a même tout pour devenir culte. Pourquoi ?
Je me permets déjà de réunir les pièces du puzzle : Love Lies Bleeding, (enfin !) dans nos salles ce 12 juin, est le second long-métrage de la réalisatrice britannique Rose Glass. Le film prend place dans les années 80 et, entre la BO bien vintage, les lumières-néons et les coupes-mulets, on le comprend très vite. Derrière ce titre qui rend hommage à un tube éponyme de l'époque nous est contée l'histoire d'une gérante de salle de gym (Kristen Stewart) qui tombe sauvagement amoureuse d'une culturiste (Katy O'Brian).
L'une est discrète, l'autre très impressionnante physiquement, toutes deux vivent d'une idylle passionnée et charnelle. Oui mais voilà : dans ce monde d'hommes, elles vont subir impuissance et violence, malveillance et dérapages sanguinolents. Chaos, magouilles, meurtres, tentatives de fuites : voici la recette.
Love Lies Bleeding est donc un polar comme le suggèrent tous ces ingrédients, mais aussi, un film qui rend compte avec un érotisme décomplexé de la passion entre deux femmes. Une dimension fiévreuse qui m'apparaît comme nécessaire et, à sa manière, carrément militante par les temps qui courent. Quitte à bousculer les réacs. En fait, l'oeuvre a déjà largement énervé les lames les moins aiguisées du tiroir...
Je ne vais pas cacher ce qui a redoublé mon attente de ce film et l'a carrément érigé en événement... Le 13 avril dernier, ce film noir LGBTQ a été projeté au sein du festival bruxellois du BIFFF, bien connu des amateurs de cinéma "différent" et audacieux. Et cette diffusion face à un public très agité a engendré un véritable carnage : remarques potaches voire carrément homophobes dans le public, protestations diverses et même, conflits physiques entre spectateurs et spectatrices queer... Un désastre largement relaté sur Twitter.
Suite à ce large bad buzz fracassant, le BIFFF a présenté des excuses publiques et imposé de nouvelles mesures pour empêcher de nouveaux dérapages homophobes - ou plutôt, lesbophobes : la haine anti-lesbiennes. C'est donc auréolé de ce triste événement que cette oeuvre généreuse et folle débarque en France, en plein Mois des fiertés, c'est-à-dire de célébration des droits et de la culture des personnes LGBTQ. Un grand symbole !
Impossible à mon sens de comprendre comment des réactions aussi exacerbées ont pu éclore de cette séance. Car si Love Lies Bleeding provoque quelque chose, c'est surtout la fascination. Le film déploie un pitch simple comme bonjour autour d'un imaginaire bien connu (celui de polar) et s'en sert pour déjouer nos attentes.
En se plongeant dans la tête du personnage irréel de Katy O'Brian, obsédée par sa musculature digne d'un super héros de comic book, on va ainsi tutoyer du doigt le fantastique voire l'horreur, en se confrontant lors d'interludes étranges à des visions oniriques et délirantes. J'ai l'impression que le film est comme un rêve éveillé, traversé de visions cauchemardesques et subversives.
Et puis, bien plus qu'un "film choc", ce qu'il n'est pas malgré sa violence décomplexée qui vire volontiers au gore, Love Lies Bleeding est surtout à mon sens une déclaration d'amour à la plus mésestimée des grandes actrices : Kristen Stewart. Eternelle Bella de Twilight, mais aussi incarnation de Lady Di et Joan Jett à l'écran, l'actrice trouve dans cette drôle d'histoire tragicomique son plus beau rôle : tour à tour mélancolique et badass, amoureuse et insolente, elle m'a renvoyé à la Uma Thurman du dyptique Kill Bill. Rien que ça, oui.
Et s'il est peut-être moins furieux qu'un Tarantino, Love Lies Bleeding pourrait à mon sens générer un impact aussi gros, non pas dans la pop culture, mais dans la queer culture. Je l'observe depuis deux mois déjà, indénombrables sont les expressions de soutien, gifs et fan arts partagés par la communauté LGBT sur des réseaux comme Twitter et Instagram.
Je me réjouis d'une telle réappropriation qui prouve que ce film déroutant et polymorphe, bien au-delà du bad buzz initial dû à l'homophobie ordinaire la plus crasse (qu'on devrait bien ressentir en ce mois des Fiertés) devrait rester. D'une manière ou d'une autre. Et je ne peux que vous inciter à tenter l'expérience en salles, histoire d'envoyer valser les pingouins qui glissent le moins loin sur la banquise.